top of page

Compte-rendu de notre mission pour WHR (Women for Human Rights) au Népal (avril)

A la rencontre des veuves (ou plutôt « single women » = femmes seules) au Népal

Notre mission de mesure d’impact en Inde pour Green light Planet ayant été annulée, nous avons recherché par tous les moyens une ONG ou un social business intéressés par nos services pendant nos quelques jours à Mumbai. C’est finalement chez WHR, une association népalaise qui aide et soutient les veuves, que nous avons passé le mois d’avril.

Au Népal comme en Inde, les femmes qui perdent leur mari perdent en fait... à peu près tout. A la fois leur propriété, confisquée par la belle-famille, mais aussi leur liberté et leur statut social. Jusqu’à assez récemment, elles perdaient même leur vie : lors de la crémation du mari, il était tradition pour sa veuve de mourir avec lui, d’un même feu. Aujourd’hui, cette tradition morbide s’éteint, en partie grâce à l’action du gouvernement, mais en substance, les mentalités subsistent : à la mort de son mari, une veuve est dès lors traitée comme une « outcast », une marginale, portant sur elle le mauvais sort et la disgrâce vu qu’elle est jugée responsable de la mort de son mari. EElles sont souvent expulsées de chez elles (la maison, l’héritage et même la dot qui avait été versée lors du mariage sont reprises par la famille du mari décédé), ne doivent porter que du blanc - couleur du deuil - et souffrent de multiples souffrances psychologiques et physiques infligées par la belle-famille, l’entourage, la société. Par exemple, nombreuses sont harcelées sexuellement ou violées. Pour survivre et nourrir leurs enfants, qui sont également marginalisés et dévalorisés, il est courant que les veuves se prostituent. Le problème est de taille, et affecte un nombre impressionnant de femmes suite à la guerre civile qui a eu lieu au Népal de 1996 à 2006.

Ainsi, c’est pour accueillir, protéger les veuves mais aussi pour faire entendre leur voix que Lily Thapa, veuve elle-même à l’âge de 20 ans, a fondé WHR.

Le but de WHR est de faire en sorte que les veuves jouissent des mêmes droits et de la même reconnaissance que n’importe quel individu. Pour cela, plusieurs leviers sont utilisés, dont le plus important est le levier du lobbying: WHR est devenu un interlocuteur privilégié du gouvernement, et lui a arraché de nombreuses victoires.

Par exemple, grâce à l’action de WHR :

- Les propriétés du mari défunt ne doivent pas être retournées après le remariage de sa veuve

- Les veuves n’ont plus besoin d’atteindre l’âge de 35 ans pour hériter des propriétés du mari défunt

- Les veuves n’ont plus besoin du consentement de leur belle-famille pour obtenir un passeport

- Le gouvernement a condamné la pratique du « Vaikalya » : l’interdiction pour les veuves « enfants » (un phénomène courant) de porter des couleurs vives, de manger de la viande ou du poisson, de se remarier, de se montrer tôt le matin, de se rendre à des cérémonies de mariage, ou encore d’accéder à la citoyenneté népalaise avant 18 ans

Tout aussi important que modifier la loi, éduquer les veuves sur leurs droits et les conseiller est une activité importante de WHR. Dans leurs refuges « Chhahari » ou tout simplement au siège de l’ONG, les veuves peuvent avoir accès à un conseiller légal.

Mais le défi le plus épineux n’est souvent pas de changer la loi, mais de changer les mentalités. Cela passe par de la sensibilisation et par la mise en place d’outils pour aider les veuves à s’émanciper et à faire entendre leur voix. WHR gère un énorme réseau de veuves (100 000), organisé par régions, par district et par VDC (équivalent de village). Regroupées en petits groupes, les veuves reçoivent des formations diverses (« leadership », management, finance, mais aussi artisanat, formations professionnelles pour devenir esthéticienne, réparatrice de téléphone..), font de la sensibilisation dans leur village sur la situation des veuves, candidatent pour percevoir des fonds des municipalités. Chaque petit groupe de femmes dispose d’un fonds d’épargne commun qu’elles gèrent ensemble, permettant de prêter à une des membres en cas de difficulté ou pour l’aider à monter un projet. WHR emploie aussi, dans ses refuges aux quatre coins du pays, des veuves dans son service de traiteur (surtout à Katmandu) et de tailleur.

En dépit de ces succès, WHR rencontre des difficultés : difficulté à soigner les blessures et les traumatismes profonds qui secouent ces femmes, difficulté à les faire reprendre confiance, à les protéger de leur famille, à trouver un futur pour leurs enfants. Difficulté également à trouver des pistes de développement économique et des emplois pour des femmes sans compétences, illettrées et complètement dépendantes de leur famille qui les enferment chez elles.

Objectif de la mission :

Notre rôle pendant un mois était de trouver des stratégies pour le développement économique des femmes : avec le peu de budget dont dispose WHR, proposer des idées de business gérés par des veuves, de financement pour qu’elles puissent subvenir à leurs besoins et être autonomes.

Déroulement :

National Workshop

Tout d’abord nous n’avons vu que les contraintes : le budget en était une, mais aussi l’éloignement géographique, le manque de visibilité sur les activités des veuves, les pressions de leur famille, leur illettrisme… Notre ignorance décourageante du Népal et de ses particularités était également un obstacle important. Nous décidons, pour débroussailler le terrain, d’interviewer des veuves lors du « National Workshop » organisé par WHR deux jours après notre arrivée. Toutes les leaders régionales des veuves étaient conviées à cet événement exceptionnel. Chacune représentait environ 200 femmes, et devait assister à une série de conférences, témoignages et formations. Lorsque nous les interrogeons, nous sommes scotchés: au lieu de femmes fragiles et traumatisées, nous nous retrouvons en face de véritables chefs de guerre, volontaires, intelligentes et charismatiques. L’une monte une coopérative financière dans son village, l’autre écrit des poèmes à ses heures perdues, une autre encore négocie avec la mairie de son district pour obtenir un local et des machines à coudre pour monter des businesses de tailleur… Nous rencontrons même une spécialiste en marketing, perdue au milieu de la campagne népalaise et subissant l’interdiction de travailler par sa famille. Toutes respirent une force et une tendresse immenses à la fois.

Atelier Brainstorming et chai

De ces interviews, nous commençons à avoir des pistes de projets ou d’activités qui pourraient être développés au niveau local, et surtout à visualiser la vie dans les villages et les activités en place. Pendant une semaine encore, nous continuerons à interviewer ces leaders, qui suivent une formation dans les locaux de WHR. Nous profitons même de l’occasion pour organiser un atelier réflexion mobilisant les femmes, que nous pensons les plus aptes à connaître les contraintes du terrain et les compétences des veuves de leur district. Pendant deux heures, un matin, nous les divisons en quatre groupes, chacun réuni autour d’une table basse et de tasses de chai, et qui a pour tâche de potasser en 20 min un sujet précis : Groupe 1 : Quelle production agricole développer pour les veuves, en prenant en compte les contraintes locales et un financement faible ? Groupe 2 : Quel produit agricole transformé ? Groupe 3 : Quel produit d’artisanat ? Groupe 4 : Quel nouveau business ? Consigne de l’exercice : bien mettre en évidence les obstacles et les solutions envisagés.

Et c’est parti : autour de chaque table, confortablement installées sur des coussins, 10 femmes débattent et s’enthousiasment. Pas de désœuvrement, pas de débats houleux non plus, mais une organisation et une diplomatie impressionnantes : dès le début, chaque groupe a désigné sa secrétaire, laisse la parole circuler harmonieusement entre les différents protagonistes, et déroule méthodiquement son plan d’action. Alors que nous pensions que les questions et les débats n’en allaient pas finir vu le caractère abstrait et inhabituel de l’exercice, au bout de 3 minutes on s’aperçoit que les groupes en ont fini d’hésiter et se dirigent tranquillement dans leur projet, dictant à plusieurs voix les descriptions, les justifications et les obstacles à la secrétaire qui retranscrit le tout au marqueur sur un grand panneau orange. Elles ont fini avant la fin du temps imparti et attendent avec impatience de pouvoir présenter leurs idées à tout le monde. Et quand elles présentent, elles le font avec un naturel et une aisance incroyables. Le groupe « Produit agricole » veut se lancer dans la culture de la pomme de terre, le groupe « Produit transformé » dans les chips de pomme de terre, le groupe « Artisanat » dans les objets faits main en bambou, et le groupe « Nouveau business » dans un magasin à Katmandu qui vendrait les produits des veuves de tout le Népal. Le groupe « Chips » a clairement le projet le plus abouti : quatre parfums différents de chips ont été sélectionnés, une division des tâches entre les productrices de chips et les vendeuses a été établie, l’organisation de séances de tests gustatifs auprès de gens extérieurs a été prévue. Le projet se construit dans le temps : d’abord, il s’agira d’une production depuis la maison, puis quand les recettes le permettront, on investira dans des machines pour couper les chips de manière uniforme et on construira une petite fabrique. On s’étendra ensuite dans les autres villages et régions du coin grâce au réseau des veuves et à un plan média s’appuyant sur les radios locales. Le résultat sera qu’enfin, on se débarrassera de ces satanées chips indiennes de mauvaise qualité !! Les rires et les applaudissements fusent dans toute la salle.

Nouveaux brainstorming et excursion à Kavre

Les interviews de femmes qui suivent l’atelier réflexion en sont fortement affectées : à chaque fois que nous posons des questions sur des produits à valeur ajoutée à développer ou des compétences à valoriser, nous avons l’impression que le Népal entier n’a qu’un seul manque crucial à combler et une obsession: la patate. C’est le meilleur produit, celui qui marchera, car c’est si bon et nourrissant, sous toutes ses formes (les chips par exemple).Pris dans une impasse (mais gardant à l’esprit les potentialités visiblement illimitées de la culture de la pomme de terre), nous élargissons nos brainstorming à d’autres catégories de population : les touristes (représentés par nous-mêmes et un israélien rencontré à Katmandu) et les jeunes Népalais (représentés par Akshay, membre de WHR et ses amis). Nous finissons par constituer une longue liste de services ou produits prometteurs pouvant être fournis et produits par des veuves illettrées, à destination des Népalais urbains, des Népalais ruraux ou des étrangers. (Liste qui peut être trouvée dans notre rapport).

Nous décidons de tester ces idées à Kavre, un district près de Katmandu où nous pouvons rencontrer des veuves. C’est aussi l’occasion d’en savoir plus sur le mode de vie des femmes, cette fois-ci sans la médiation de leurs porte-paroles. En arrivant à Banepa (capitale du district) nous sommes accueillis par la famille de notre interprète Prena, qui nous fait assoir et nous offre un bon déjeuner. La mère de Prena produit des pickles et des masques naturels pour la peau. Nous voyons en effet les petits sachets de poudre rose empilés dans la pièce (Alex en achète plusieurs). Elle fabrique également des paniers faits à partir de sachets de nouilles recyclés. L’aspect n’est pas très alléchant mais nous prenons des photos au cas où. Auparavant, elle travaillait comme tailleur.A la recherche de nouvelles veuves à visiter, nous nous rendons dans un petit shop tenu par l’une d’entre elles. C’est une petite épicerie proposant des produits de première nécessité, ainsi que des fruits et légumes produits dans le jardin de la dame. Elle nous fait d’ailleurs goûter à un fruit inconnu, la « ground apple », à l’aspect de racine, à la même consistance aqueuse qu’une pomme et au goût insipide. Chaque bouchée nous semble être un petit cheval de Troie qui va s’empresser d’attaquer tout notre système de l’intérieur, et nous la regardons avec angoisse attraper une énorme racine pour nous la découper. Heureusement, nous réussissons à dévier la majorité des morceaux de ground apple vers un groupe de garçons qui s’amusent à côté de nous. Il y a même un bébé qui s’agite sur une serviette posée par terre. Sa mère a entrepris de lui verser de l’huile de moutarde dessus et de le frictionner vigoureusement (une technique locale pour rendre les bébés « plus forts »). Pendant ce temps, la veuve nous raconte sa vie, ou plutôt sa fille, qui parle couramment anglais. Après la mort de son mari, elle perd son argent, son mode de vie, son confort, tout en ayant plusieurs enfants à charge. Armée de courage, elle contracte un prêt auprès d’une institution de micro-finance et ouvre une petite épicerie – elle qui n’a jamais travaillé de sa vie. Une épicerie, c’est un pari risqué, car cela nécessite de vendre des produits à une communauté qui ne cesse de mépriser et rejeter les femmes de sa condition. Elle réussit cependant, grâce à sa volonté et son sens du commerce, à faire grandir son business et à assurer le bien-être de ses enfants. Nous avons devant les yeux le résultat concret de ses extraordinaires efforts : sa fille parle un anglais parfait, a eu l’opportunité de vivre et de faire ses études en Europe, et semble épanouie, indépendante et pleine de reconnaissance. La vieille veuve nous conduit dans sa maison, et nous fait traverser un couloir sombre jusqu’au potager. Elle semble passionnée de jardinage, nous montre avec fierté ses différentes productions (nous regardons celle de ground apple avec scepticisme) et ses tout nouveaux plans de kiwi, une nouveauté dans le village.

Après cet exemple motivant de succès de business géré par une veuve, nous nous apprêtons à en rencontrer de plus difficiles. Une veuve travaille aux champs toute la journée sous le soleil de plomb (rien que de l’interviewer assis nous donne mal à la tête) et ne produit pas assez pour vendre quoi que ce soit. Sans aucun revenu, elle se nourrit de ce qu’elle-même produit ou bien sa famille, dans une situation de grande précarité. Une autre, déjà vieille, à qui Anne-Charlotte parle chez la mère de Prena, est très affaiblie et traumatisée par les épreuves qu’elle a dû surmonter. Quand Anne-Charlotte lui cite des exemples de business auxquels nous avons pensé, elle fait comprendre qu’elle accepterait n’importe quoi pour améliorer sa condition miséreuse mais que ses douleurs physiques sont telles qu’elle ne se sent même pas capable de réaliser la moindre tâche. Le désespoir et l’impuissance se lisent dans le moindre de ses gestes.

Homestays, vente en ligne, micro-finance

Au terme de ce débroussaillement, nous nous dirigeons finalement dans trois directions :

- Un service de chambre d’hôtes chez les veuves, qui ont l’avantage de couvrir tout le Népal (dans des zones plus ou moins touristiques), qui possèdent souvent des chambres vides (d’après nos observations à Kavre) et qui semblent avoir un grand souci de l’hospitalité. De plus, à l’issue d’un travail extensif de collecte de données et de préparation des veuves, le tout pourrait fonctionner à peu de frais. Anne-Charlotte et Félix se rendent encore une fois à Kavre, près du site touristique (ou plutôt de pèlerinage) de Namo Buddha, afin de faire des repérages. Ils en reviennent avec des photos et des informations, qu’ils mettent en forme directement sur un profil sur la plateforme homestay.com (lien vers le profil : https://www.homestay.com/nepal/purana-gaon/73198-homestay-in-purana-gaon-purana-gaon )

- Un système de vente en ligne des produits des veuves : nous nous rendons compte que certains produits régionaux et d’artisanat sont recherchés à Katmandu et dans les diasporas de Népalais à l’étranger. Pommes de terre, oui, mais aussi des vêtements pour bébé à « trois couches » de coton, paniers recyclés, dhaka (tissu traditionnel), bijoux, encens… Sans besoin de formations supplémentaires (au début), les femmes pourraient vendre ces produits, qui ne trouvent pas d’acheteurs au niveau local, à un marché plus prometteur. Ces activités traditionnelles présentent aussi l’avantage de pouvoir être réalisées de chez soi, et en sus des activités agricoles ou domestiques obligatoires. Le site de e-commerce Sastodeal commande déjà quelques exemples de production. Nous amorçons en parallèle un travail de catalogage des produits actuellement fabriqués par des femmes et des savoir-faire (avec des indicateurs de prix, de temps de production, de capacité) ; ainsi qu’un démarchage de distributeurs népalais et de coopératives spécialisées

- Un développement de la section micro-finance, qui ne bénéficie actuellement qu’à peu de veuves. Par manque de moyens, de contrôle. Après une analyse des comptes (tous en Népalais), nous nous rendons compte de la faible attractivité de cette structure vis-à-vis de potentiels investisseurs : pas de comptes en anglais, pas de suivi des indicateurs financiers clé, peu d’informatisation… On l’a vu par exemple à Kavre, bénéficier d’un prêt pour monter son propre shop ou sa propre activité est moteur pour l’émancipation économique et sociale de veuves, et permet de s’extirper d’une dépendance totale à la famille ou à la saisonnalité agricole.

Rapport

Notre rapport est disponible dans la section "Mission" du blog en PDF, et a reçu beaucoup d’attention de la part de Lily Thapa et des membres de WHR lors de sa présentation. L’idée des chambres d’hôtes, en particulier, a généré un enthousiasme inattendu !

Ce rapport a été rédigé avant le tremblement de terre, et nous sommes conscients qu’il peut à présent manquer de pertinence. L’association WHR elle-même a partiellement mis de côté ses activités principales - venir au secours des veuves - pour venir au secours de toute la population sinistrée, en organisant collectes et expéditions dans les zones sensibles. Elle s’appuie ainsi sur son solide réseau, qui permet la communication là où il en manque. Une fois les difficultés surpassées, nous sommes confiants que ces pistes et documents seront d’utilité aux membres de l’association.En attendant, nous vous invitons à soutenir cette association apportant énormément de réconfort à des populations blessées et vulnérables. Nous vous invitons également à vous renseigner et à communiquer sur la cause des veuves au Népal et en Inde, phénomène d’exclusion sociale aux aspects extraordinairement brutaux et encore trop méconnu.

bottom of page