A la fin de mission pour WHR, à Katmandu, Alexandra et Anne-Charlotte sont parties respectivement en Turquie et en France, pendant que moi et Félix avons commencé un trek de 5 jours dans la réserve de l'Annapurna. Nous sommes partis de Pokhara, à une demi-heure de vol de Katmandu, le jeudi 23 avril.
Samedi 25 avril : Poon Hill et première secousse
Quand le réveil sonne à 4h15, nous sommes déjà à demi-réveillés. Le coucher à 21h le soir précédent nous a laissé de bonnes heures de sommeil réparateur devant nous. Nous avons cependant du mal à nous extirper de nos lourdes couvertures, qui nous ont si bien protégé cette nuit du froid humide qui s’immisçait par toutes les fentes de la pièce – on a mal choisi cette fois, une chambre dans le coin de la maison, au 1er étage, avec deux murs sur quatre troués de larges et fines fenêtres. Un désastre d’isolation. Après avoir enfilé la moitié des habits de mon sac, je prends un petit thé chaud, j’essaie avec difficulté de faire marcher ma lampe frontale, et je sors dans le noir avec Félix. Ainsi commence l’ascension de Poon hill, le « highlight » de notre trek de 5 jours. Une vue soi-disant phénoménale sur le « Annapurna range », avec cependant quelques sacrifices : 500 mètres de dénivelé à gravir en 45 minutes, à 4h30 du matin. J’ai eu une dernière hésitation ce matin, convaincue qu’on ne verrait rien là-haut, et craignant pour mes muscles (après l’ascension, on doit enchaîner avec une étape de trek normale). Finalement le devoir s’est imposé. C’est plutôt amusant, au début, de grimper dans le noir avec la frontale ; on aperçoit des petites lumières dansantes au-dessus de nous, j’ai l’impression de faire partie d’une descente – ou plutôt montée – aux flambeaux. Mais rapidement j’ai le souffle coupé, le tortillon de marches devient un véritable calvaire. Après un petit moment j’aperçois le bout du tunnel : des petits drapeaux flottants indiquent le sommet, le graal. Autour de nous, rien qu’une mer de nuages décourageante. La masse de trekkeurs s’épaissit. Certains s’appuient sur leurs bâtons pour reprendre leur souffle bruyamment, aux côtés de leur guide népalais blasé. Je prends un malin plaisir à les voir (et surtout à les dépasser), mais je ne suis pas dans un meilleur état qu’eux. Enfin la visibilité est meilleure, et on aperçoit des taches blanches qui se détachent dans la semi-obscurité : une montagne ! Une fois arrivés aux petits drapeaux flottants, c’est la consternation : ce n’est qu’un point d’étape, derrière lequel se cachait une énorme colline – ladite Poon hill – restant à gravir. Je crache mes poumons en arrivant au sommet. Evidemment, la mer de nuages n’a pas disparu, cachant tout point remarquable et détruisant toutes les espérances : déjà les marcheurs commencent la redescente. Parmi ceux qui traînent sur le sommet, certains prennent des selfies – majoritairement des Chinois – d’autres regardent un dessin de ce qui est censé être devant leurs yeux, d’autres encore s’extasient devant le petit bout de montagne enneigée qu’on voyait déjà 200 mètres plus bas (j’en fais partie). On redescend lentement, nos jambes secouées de tremblements au moindre pas. On se remet sous nos grosses couettes réconfortantes à l’arrivée à l’hôtel, et nous y restons d’autant plus longtemps qu’un déluge s’est déclaré, rendant impossible tout départ. Dans la salle de petit-déjeuner, vers 10h du matin, un Russe sort sa guitare et entonne des chansons qui me font penser à de la musique tzigane. Il est dos à nous, un de ses amis est vêtu d’une sorte de combinaison aux couleurs des jeux olympiques de Sotchi, et chante les refrains avec lui. Je pourrais rester ici toute la journée.
En haut de Poon Hill: des randonneurs regardant un dessin du panorama attendu
On décide finalement de se mettre en route quand la pluie faiblit. Une grande montée nous attend, et les marches glissantes me font regretter d’être partie de ce petit cocon musical. Après 30 minutes de marche, nous croisons déjà un randonneur qui nous demande à combien de temps de marche se trouve Ghorepani (l’endroit d’où l’on vient), son étape pour la nuit. Mais à quelle heure il est parti, lui ? Les trekkeurs sont des surhommes. Il continue de pleuvioter, et le brouillard cache tout à 10 mètres. Nous lisons les commentaires d’un bloggeur qui a décrit son trek de Poon hill étape par étape, et qu’on a enregistrés sur le portable de Félix. « On Day 3, the views were incredible. I literally couldn’t help myself from stopping every few steps to take another photo and video clip. We hiked along a parallel ridge, surely one of the most scenic hikes I’ve ever taken.» Morts de rire. On est noyés dans une épaisse purée de pois, et on avance si lentement à cause de la boue et de nos chaussures pourries que je me dis qu’on n’arrivera jamais à destination. Pas grave, la bonne humeur persiste, on marche à petits pas, et on s’extasie à grands cris devant les montagnes invisibles.
Mes jambes restent très instables à cause de mes chaussures glissantes et de mes courbatures, je les sens tout le temps remuer involontairement. Quand Félix me dit qu’il y a un tremblement de terre, je mets donc un certain temps avant de le croire. Puis cela m’apparaît comme une évidence. On s’assoit sur le côté du chemin, abasourdis. Le sol remue très violemment, et mon esprit va à toute vitesse. Que peut-il se passer ? Une pierre qui nous tombe dessus ? Je me tourne vers la montagne et ne vois rien que des arbustes et le sommet à quelques mètres au-dessus de nous. Une faille qui s’ouvre sous nos pieds ? Je déroule le film devant mes yeux. Tous mes sens sont en alerte. Félix se met à filmer, et je commence à rire, à rire de lui, à rire de ce qui arrive, à rire de peur. Finalement tout s’arrête. On se remet à marcher, sous le choc, et on en rigole rapidement « Mais en fait ça doit arriver tout le temps, ici ! Bizarre qu’on n’en ait pas entendu parler ! ». Après 30 minutes de gadoue et de racines glissantes, on croise des Népalais (rapides ceux-là encore !) qui mentionnent le « quake ». Ils ont l’air choqué et apeuré, nous disent qu’une maison est détruite à Ghandruk, notre étape du lendemain. A Deurali, 30 minutes plus tard (on en est à 1/6 de notre étape du jour, vers midi), on s’arrête déjeuner près d’un poêle. Je suis pleine de boue glacée car je viens de tomber, et je fais sécher mes chaussettes (un Français du resto me lance : « Oh on a eu une petite chute » en m’apercevant – maudis soient les Français). Nulle mention du tremblement de terre. Je finis par demander au gérant du restaurant s’il l’a ressenti, si cela arrive souvent, et il me répond d’un air las : « Sometimes ». Soit. En tout cas ça me rassure.
On reprend la route, qui devient infiniment belle, au milieu de la forêt de rhododendrons et de bambous, et bordant un torrent. Sous nos pieds cependant, elle devient un mélange indistinct de boue et de crottin de cheval, ceci ajoutant un certain degré de risque à notre parcours. Un trekkeur fou nous dépasse en courant, manquant de faire une chute mortelle à chaque pas. Il s’adresse à Félix : « I can’t take more of this shit » (shit désignant probablement le mix boue + bouse). On le voit s’éloigner en gambadant furieusement. Au cours de la journée, nous croisons de nombreux groupes de Népalais joyeux, des vacanciers nous indiquant le temps restant pour notre étape. On hésite à s’arrêter à Banthanti, petit village près d’un ruisseau. Mais nous décidons, emplis d’une détermination soudaine, à continuer jusqu’à Tadapani, notre point d’étape programmé. En chemin, on se repose pour manger quelques KitKat, devant un panorama vertigineux de vallées et de collines verdoyantes.
L’arrivée à Tadapani est inattendue (la carte que nous possédons l’indiquait beaucoup plus loin) et spectaculaire : le point de vue sur les chaînes de l’Annapurna est sublime. Beaucoup de montagnes sont cachées mais on voit le Macchapucchre, « the holy mountain », en forme de queue de poisson, se détacher dans le coucher de soleil. Personne ne l’a jamais escaladé. On voit aussi pointer l’Annapurna II derrière. Autour de nous, les voyageurs sont enthousiasmés. Certains parlent du tremblement de terre. Nous décidons d’aller dans la salle chauffée au poêle pour lire ; assis confortablement, je lis mon livre « Loin de Chandigarh » et Félix écoute un guide népalais qui parle nerveusement. Il entend les mots de 800 morts à Katmandu… La plupart à Thamel, le quartier touristique où nous avons passé la majorité de notre temps. Nous n’avons pas de réseau, pas de moyen d’en savoir plus ni de prévenir que nous allons bien (on commence à se dire qu’avec 800 morts, peut-être que nos parents en entendront parler). On passe la suite du repas à s’imaginer Thamel détruit, les endroits que l’on connaît devenus méconnaissables, les touristes et Népalais écrasés par les pierres. Félix tente de se faufiler pour repérer la télévision, sans succès. On se couche tôt, sans trop penser aux répliques qui normalement suivent un tremblement de terre.
Dimanche 26 avril. Deuxième secousse, nouvelles à la famille
Je dors engoncée dans mon sac de couchage et ensevelie sous deux grosses couettes. La structure en tôle n’isole pas bien, ni du froid ni du bruit. Vers 5h, j’entends du grabuge, et Félix qui m’avertit d’un nouveau tremblement. Je me rends compte à ce moment-là que le sol bouge. Nos voisins sont déjà dehors et poussent des exclamations. Comment font ces gens ? Ils dormaient près de leur porte tout habillés ? Quant à moi, à poil sous mes multiples couches, coincée dans mon sac de couchage et pleine de paresse, je mets du temps à réagir aux exhortations de Félix à sortir de la pièce. Le temps de me redresser que le tremblement de terre s’achève, et je me replonge aussitôt dans mon oreiller.
Nous traînons le matin. Le réveil à 5h puis les rires sonores de Suédois toute la matinée à travers la fine tôle ne nous ont pas permis de finir notre nuit. Je voulais me lever à 5h30 pour voir le Macchapucchre au lever du soleil, mais l’épaisse brume blanche que j’aperçois depuis la fenêtre m’a immédiatement découragée. Vers 9h, nous sommes les seuls trekkeurs à prendre notre petit déjeuner dans la salle chauffante. A côté de nous, une véritable réunion de crise de Népalaises se tient. La plupart sont issues de la même famille, je reconnais sur leur visage les traits de la gérante. L’une d’entre elles lance des injonctions d’une voix forte, d’autres répondent rapidement, sur la défensive. Le reste se lance des regards soucieux. Vu que je n’ai pas eu mon café, je vais directement dans la cuisine pour ne pas les déranger. Là-bas, il n’y a qu’une petite fille qui fait la vaisselle dans le noir, et qui s’interrompt en me voyant. Je retourne dans la salle à manger et demande à la gérante mon café, dissolvant ainsi le cercle de Népalaises.
Nous sommes pressés de dire à nos familles que nous allons bien. Arrivés à Ghandruk, le gros village du coin, on voit que nous avons de nouveau du réseau. Félix a même de la 3G, et nous répondons rapidement aux Whatsapp et Viber angoissés. Nous apprenons par le même coup que la situation est plus grave que ce que l’on pensait, près de 1800 morts. C’est la pagaille à Katmandu, les répliques continuent comme les destructions. Les routes sont endommagées ainsi que la piste d’atterrissage à l’aéroport. On est dimanche, notre avion pour Delhi part mercredi de Katmandu. Ensuite j’ai mon avion pour la Turquie le dimanche prochain. Je sens déjà venir l’immense galère que nous allons traverser si nous ne chopons pas l’avion de mercredi. Nous appelons le gérant de notre guesthouse à Katmandu, et il nous dit à notre soulagement que tout va bien et que son hôtel est debout. Upasana, notre collègue à WHR, nous assure que tout le monde est sain et sauf à l’ONG. On est soulagés mais désorientés, et angoissés par des flashs catastrophistes de Katmandu qui nous viennent à l’esprit. De plus, nos coachs personnels font monter la pression :
Du côté Vernay :
« Félix, il faudra vous poser avant toute décision car le pays est en crise grave et ils vont rapatrier tous les étrangers à mon avis. De plus hier il y avait des répliques donc le retour à Katmandu dans la semaine est à réfléchir.
On doit quand même retourner chercher nos sacs, après on a le vol réservé. Il faut qu’on se renseigne sur l’état des routes
Oui fefou, dans un monde normal c’est comme ça mais Katmandu est dévasté. (…) Pour l’instant j’appelle cellule de crise nationale et au plus tard on dit demain après-midi on refait un point et on ne se fait pas de souci poursuivez mais ne vous aventurez pas sur corniches rocheuses ou dans passages étroits. Franchement, restez à découvert »
Du côté Compte : « L’épicentre est à mi-chemin entre vous et Katmandu. Beaucoup de destructions à Kathmandu, faites attention aux bâtiments fragilisés qui s’écrouleraient avec retard. Enfin de loin, avec les infos qui se concentrent dessus, ça a l’air très violent. Beaucoup de morts… »
Nous décidons de trouver un restaurant (pour l’instant nous étions sur un muret en pierre à l’entrée de la ville) pour nous poser et trouver des solutions ; un vol Pokhara – Katmandu, par exemple, est à envisager. Tout le long des marches de pierre qui traversent la ville, je nous sens tendus par le stress. Arrivés au restaurant, nous rechargeons nos portables, nous installons sur la terrasse ensoleillée et commandons une soupe Thupka à la vieille gérante Népalaise, qui a l’air d’avoir le sourire gravé sur le visage. Une Américaine frisée arrive, et nous demande si nous connaissons un endroit qui a le wifi. Elle a l’air hagard, elle se parle presque à elle-même : « I really have to warn my relatives that I’m alright… » Nous lui proposons d’utiliser notre portable comme point hotspot. Elle ne peut y croire, et déborde de reconnaissance à notre égard. Une fois le hotspot activé, elle s’assoit sur un muret et relève ses dizaines de mails inquiets. A côté de nous, une Canadienne quinquagénaire commence à nous dire que les avions Pokhara-Katmandu sont en train de se remplir à toute vitesse. Elle-même a déjà réservé un vol avec son agence, et a avancé son départ à Kuala Lumpur avec son mari. Elle a l’air satisfaite d’avoir tout sous contrôle. Le stress monte de mon côté, je demande à sa guide Chitra de nous réserver des billets à nous aussi, via son agence basée à Pokhara, « 3 sisters ». Félix reste sceptique, et non enclin à prendre des décisions hâtives sur notre retour à Katmandu. Soudain, j’aperçois la gérante bienveillante du restaurant s’approcher de l’Américaine assise sur le muret : cette dernière a éclaté en sanglots (je découvre par la suite qu’un de ses amis est porté disparu). La vieille Népalaise l’aide à se lever et la soutient sur son épaule, lui dit des mots rassurants et l’emmène chercher un accès internet un peu plus loin. Nous partons un peu plus tard, je suis pressée d’avancer dans notre trek et de quitter ce village qui, pour une certaine raison, me rend mal à l’aise.
En dépit des recommandations du père de Félix, nous sommes forcés de marcher un bon moment sur une corniche pavée de larges pierres. C’est si facile de marcher par rapport aux jours précédents ! Plus de gadoue, plus de patte folle, plus de perspectives de chute. Et la vue sur les collines est sublime. Nous atteignons rapidement Kimche, notre étape prévue pour la nuit, une sorte de village sinistre divisé par une large piste « Jeepable ». Nous ne ressentons pas le moindre brin de fatigue, et nous poussons jusqu’au prochain village (l’idée de dépasser nos objectifs nous donne des ailes). Nous nous arrêtons finalement dans un petit hôtel sur le côté de l’escalier en pierre qui constitue le chemin principal. Je n’aime pas la configuration du lieu : notre chambre débouche sur un fin rebord en ciment protégé par le toit, puis sur un trou profond et étroit, coincé entre le rebord en ciment et une haute grille. Dans le cas d’un éboulement, la seule solution pour se retrouver à l’extérieur est de marcher le long du rebord en ciment pendant une vingtaine de mètres et rejoindre un petit coin d’herbe à découvert à côté de la maison. Après une douche chaude et une tentative de massage (dès qu’on m’effleure le mollet ou le devant de la cuisse, je hurle), on commande deux Dal Bhat, cuisinés à merveille ! La maîtresse de maison est adorable, toute petite, et apprécie les compliments. Quand on la félicite sur ses pickles de prune, elle nous répond qu’on lui dit souvent qu’elle est bonne cuisinière. Pas plus tard qu’hier, des Chinois lui ont fait le compliment, ainsi que des Américains. C’est sa mère qui lui a appris à cuisiner. Pour ses pickles, elle fait macérer des prunes dans du sucre, du sel et du chili.
Quand on va se coucher, je suis effrayée à l’idée de passer la nuit dans cette chambre. J’ai peur d’un nouveau tremblement, je visualise le plafond qui s’effondre sur nous. Il n’y a pas eu de fissures dans la maison après les deux grosses premières secousses, certes, mais qui sait. Je réunis tous nos documents importants, notre argent et mes lunettes dans mon « cache-sexe » (la manière qu’on a de désigner ma ceinture/porte-feuille), je l’enfile et dors toute habillée, chaussettes incluses. J’ai aussi un pull à portée de main, que je dois penser à embarquer au cas où je dois partir en courant. On laisse la porte de la chambre ouverte. Je me réveille plusieurs fois pendant la nuit, dans des accès de peur.
Dimanche 27 avril : Logistique à Pokhara
C’est le dernier jour de trek. Après avoir petit déjeuné d’une plâtrée de patates au curry (qu’est-ce qui m’a pris hier de commander « un véritable petit-déjeuner népalais »), on se remet en route. Nous n’avons senti aucun tremblement pendant la nuit ! Il reste peu de chemin avant d’atteindre Nayapul. Sur la route, nous croisons beaucoup de groupes de marcheurs allant dans l’autre sens : ils commencent leur trek, vers Poon hill ou bien l’ « ABC » (Annapurna Base Camp). Apparemment, les touristes n’ont pas abandonné leurs plans de trek, ne fuient pas le pays. Ou bien ont-ils changé leurs plans pour se réfugier dans les montagnes plutôt stables de l’Annapurna? Nous doutons un peu que ce soit une bonne idée : est-ce que l’approvisionnement sera aussi régulier qu’avant ? Cependant nous sommes d’une certaine façon soulagés que le tremblement n’ait pas anéanti le secteur touristique au Népal, qui doit être une importante source de revenus.
La piste est facile mais je sens bien passer la dernière heure. En passant dans le village de Nayapul, on repère des fissures dans des bâtiments, et pas mal d’agitation. Un gros groupe de Népalais s’est formé sur la route. Ils sont tous immobiles, comme figés sur place ; hommes, femmes, enfants. Ils regardent dans la même direction : deux hommes qui soutiennent un troisième placé au milieu. Ce dernier est complètement sonné et ne tient pas sur ses jambes. Ce qui est extrêmement étrange c’est que même ce trio est statufié, comme dans un état d’hésitation et d’impuissance. On se serait attendu à des cris, des affairements, des gens qui vont chercher un lit de fortune ou du secours. Rien. Nous dépassons le groupe lentement, et cette scène me laisse des frissons dans le dos.
Arrivés à la route de Nayapul nous attrapons un bus qui nous amène à Pokhara pour quelques roupies. Le trajet me fait l’effet d’une expérience de mort imminente. On a survécu à ce tremblement de terre, on a rassuré tout le monde, ce n’est pas le moment de mourir dans un stupide bus ! L’arrivée à Pokhara se fait toutefois sans encombre. On regarde attentivement autour de nous, les gens, les bâtiments. Tout paraît normal. Nous arrivons à notre hôtel, « Peace Guest house », auquel on accède par un petit chemin en terre pentu qui fait crier mes mollets. « Your trek continues » dit en rigolant l’employé de l’hôtel.
Après une nouvelle cellule de crise musclée avec nos coachs, on décide d’un plan d’action en plusieurs étapes. 1) Appeler IndiGo, la compagnie aérienne qui nous emmène à Delhi deux jours plus tard, pour vérifier si notre vol est confirmé. 2) Appeler notre guest house à Katmandu, pour voir si tout est ok et habitable 3) Appeler l’ambassade de France à Katmandu pour recevoir leurs conseils en termes de sécurité / d’options de logement 4) Si « tous les feux sont au vert », on prend nos billets d’avion chez 3 sisters. On va déjeuner dans une pâtisserie française, où je joue de nouveau avec ma vie en commandant un audacieux sandwich thon-crudités. Un appel avec mon père me convainc que l’on devrait dormir dans un jardin cette nuit, « de préférence pas trop près d’une tour en béton » ajoute-t-il. On appelle aussi l’ambassade, en lui demandant où l’on devrait dormir à Katmandu. L’interlocutrice, d’humeur irritable, nous fait comprendre que l’ambassade n’est pas une agence de tourisme. « Ca dépend de votre budget. » Félix répond que ce n’est pas une question de budget, mais de sécurité. Finalement elle nous dit de dormir dans un jardin. Attendons d’être à Katmandu, alors.
A l’agence « 3 sisters », on est déçus car aucun vol n’a été réservé pour nous. Toutefois la dame qui nous accueille est sympathique. Elle passe mollement quelques appels, nous dit que tout est réservé chez Yeti Airlines (la compagnie « star » du Népal), et insiste pour qu’on prenne le bus, ce qui n’est pas une option pour nous car la route passe près de l’épicentre. Elle finit par comprendre qu’on est complètement butés – comprendre : bien entraînés par nos coachs - et par s’activer. Elle passe de nombreux appels à une autre femme qui vérifie pour elle la disponibilité chez des compagnies un peu plus obscures : Simrik, Royal Nepal… On se demande quel montant de marge va permettre de payer cette chaîne d’intermédiaires. Finalement nous réservons un avion à 8h du matin le lendemain avec Simrik. Elle nous avertit cependant que très peu d’avions partent de Pokhara vers Katmandu en ce moment, il n’est pas dit que cela marchera. Au pire nous pouvons prendre une voiture dans l’après-midi. En attendant que les billets arrivent, nous discutons un peu. Elle est guide de trek, elle revient de l’Everest Base Camp où elle en a bien bavé (« It was so cold, so high »). Heureusement elle est revenue avant le tremblement de terre et les avalanches dévastatrices. A Pokhara, il n’y a pas eu beaucoup de morts ni de destruction. « Les gens dorment dehors quand même, moi aussi j’ai dormi dehors les dernières nuits. Mais ce soir je dors dans ma maison. Je manque tellement de sommeil, j’ai besoin de mon rythme de trek moi ! Il me faut une bonne nuit de 21h à 6h. Je vais dormir chez moi, au moins si je meurs je serai bien dans mon lit, dans ma maison. » En fin d’après-midi, on se balade au bord du sublime lac de Pokhara, baigné dans une douce lumière bleue. Une foule de touristes sont assis dans l’herbe, sur des transats, attablés dans un bar branché. Pas mal de hippies vendent des bijoux de leur création ou fument et jouent de la musique. L’un d’entre eux joue d’une sorte d’immense flûte qui tombe jusqu’à terre, émettant des sons rauques et inquiétants. A terre un écriteau : « For Tickets Back Home ».
On est en train de discuter sur la promenade quand une Française nous retient. Elle a dans les 50 ans, elle est tout sourire mais très nerveuse à la fois: « Vous parlez Français ? Est-ce que par hasard vous auriez des informations sur ce qu’il se passe, avec le tremblement de terre ? Je suis censée y aller dans quelques jours, avec une autre Française que j’ai rencontré ici… Les seules informations que j’ai me proviennent de ma fille, en France. Elle me dit qu’il n’y a pas d’électricité à Katmandu ?» Nous n’en savons rien, mais nous lui assurons que nous lui enverrons des nouvelles une fois à Katmandu. En attendant, il vaut sûrement mieux de rester à Pokhara.
Pour soulager nos muscles, on se fait masser dans la clinique « Seeing Hands » qui n’emploie que des aveugles. Nos deux masseurs sont très naturels, et loquaces. Ils sont aussi très professionnels : mes douleurs aux jambes ont disparu ! Félix doit parlementer longuement pour empêcher que son masseur lui fasse craquer les os du cou. De nouveau le soir je dors très mal, secouée d’angoisses à défaut de nouveaux tremblements de terre.
Mardi 28 avril : Retour à Katmandu
Lever aux aurores sur Pokhara endormie. A l’aéroport, nous repérons nos futurs compagnons de voyage : deux jeunes Hollandais à l’air sportif et une cohorte de Chinois. Au comptoir rouge et noir de Simrik, on nous dit de patienter. Une demi-heure plus tard, sans avoir reçu aucun signe ni information supplémentaire, Félix retourne les voir. Ils ont l’air de tomber des nues : « Oh, you want to check-in ? Okay». Pour s’enregistrer, on doit mettre son sac sur ses épaules et se placer sur une énorme balance (tout ceci ne fait rien pour me rassurer). Nous nous dirigeons ensuite vers des sièges au milieu du groupe de Chinois. On voit bientôt les deux jeunes Hollandais débarquer et placer leurs bagages sur le tapis roulant en face de nous. Après les avoir passés sous la sécurité, cependant, ils sont enjoints à retourner s’assoir et non à passer sous le portillon. Je leur demande ce qu’il s’est passé : un staff avait crié dans leur direction « Sumsum, sumsum » en leur faisant le geste de se rapprocher. Ils ont donc pensé que cela signifiait « Venez, venez » et ont fait passer leurs bagages sur le tapis. Ils se sont ensuite rendu compte en montrant leur ticket d’embarquement au contrôleur que Sumsum était en fait une destination d’un vol imminent…
A bout d’un long moment, nous pouvons passer aux portes d’embarquement puis prendre le bus qui nous amène à notre avion. Comme à l’aller vers Pokhara, c’est un petit coucou de 15 places qui a l’air plus maladroit que le premier. A l’aller, j’avais retenu mon souffle pendant tout le vol. Cette fois-ci, le credo du jour est plutôt « Inch’Allah ». Je mets les petites boules de coton dans mes oreilles et guette l’arrivée à Katmandu. Depuis le ciel, j’aperçois bientôt quelques bâtiments défoncés et les milliers de tentes qui colonisent tous les espaces verts. Une immense appréhension m’envahit.
En circulant sur les pistes de l’aéroport, en coucou puis en bus, on repère les immenses hélicoptères de l’armée indienne et des militaires qui s’affairent. Un avion français, aussi, et un avion malaisien. Les Chinois documentent le tout frénétiquement. J’aurais presque envie de faire la même chose si je trouvais un usage futur à ces photos (je suis sûre que je n’aurai pas envie de les regarder). On sort rapidement de l’aéroport, et on débouche sur un bordel de tentes, de journalistes et de gens divers. Un immense attroupement encercle une journaliste de télévision, qui s’agite devant une caméra. On partage un taxi avec les Hollandais en se faisant complètement avoir sur le prix, mais tout le monde s’en fout, bizarrement. Les rues sont remplies de gens dans le quartier de l’aéroport : personne ne reste chez lui par peur des effondrements. On dépasse un terminal de bus où l’on aperçoit des interminables files d’attente. On voit aussi beaucoup de tentes et de familles, de gens qui font la sieste dehors, qui mangent, qui pissent. L’intimité et le chez-soi se sont déplacés dans la rue et ont été du même coup annihilés. On pourrait presque croire que c’est normal, que c’est une ville un peu trop pleine, une ville vivante, une ville indienne. Les habitants s’attablent à de petits tea shops, grignotent des samosas ou des momos. Toute la nourriture qu’on a emportée depuis Pokhara (biscuits, snickers) en prévision d’une coupure d’approvisionnement est donc superflue ! J’essaie de repérer aussi des bidons d’eau minérale sur les étalages (on en a 4 litres sur le dos). C’est en arrivant près de Thamel, le quartier touristique de Katmandu, que le changement est impressionnant. Les magasins sont tous fermés, des murs sont détruits, les rues sont quasi vides. Sur un mur, un tout nouveau tag, énorme et rouge vif (« Nepal Quake 05-25-2015 »), renforce l’impression d’arriver après une catastrophe. On n’ose pas pénétrer dans les minces rues du quartier, et après avoir déposé les Hollandais, nous demandons au taxi de contourner Thamel pour arriver à Sorakute, le quartier de notre guesthouse. Nous nous apercevons que pas mal d’étrangers suivent la même route que nous, mais à pied. Thamel, d’habitude si « packed », rempli de touristes, de Népalais, de motos, de taxis, de vendeurs, de bibelots, de bols tibétains, de restaurants, de bars, de musique, d’écharpes en faux cachemire ou en fausse laine de bébé yak, est devenue un no-man’s land. Nous débarquons à Sorakute et marchons sur les chemins familiers. A la guesthouse, personne. Nous patientons un peu dans le jardin, et en inspectant les lieux, on ne repère pas de fissure ; nous voyons bien cependant que le jardin n’est pas propice à notre hébergement, coincé entre deux grands bâtiments. Je vais aux toilettes très rapidement, en courant presque dans les couloirs, de peur d’un effondrement qui me tuerait alors que je suis sur le siège (je me remémore une scène de Jurassic Park où un homme est dévoré par un Tyrannosaure alors qu’il est aux toilettes : une bonne rigolade qui maintenant me fait craindre pour mon propre sort). Nous allons finalement petit-déjeuner à une autre guesthouse. Je me rappelais une belle terrasse, un standard de confort et de beauté plus élevé que notre auberge. Or cette même terrasse n’offre plus qu’un jardin sale, avec des ordures qui traînent. La carte du petit-déjeuner est réduite à des omelettes et des toasts, servis dans des assiettes en carton, et le café sera sans lait. Quand je me rends aux toilettes, je faillis vomir de dégoût. Cependant, le gérant rayonne de chaleur et d’entrain, ce qui me redonne le sourire. Il nous vante son riz au curry, mais mon estomac n’est pas prêt ! Ses frères sont là, et l’un deux nous parle avec une surprenante douceur. Un groupe éclectique de clients, de membres de la famille du gérant et d’autres énergumènes s’est formé sur la terrasse, et un grand Népalais commence à rouler un joint. Il fume tranquillement dessus puis le passe à une sexagénaire blonde. Finalement, dans ce petit coin de Katmandu, tout ne va pas si mal.
Félix glane des livres sur les étagères de l’auberge, couvertes par une large véranda, qui, d’ordinaire, devait être un petit havre de paix. Maintenant, elle est envahie par des réchauds et de la vaisselle sale. De toute façon, plus personne n’a envie d’avoir un toit au-dessus de sa tête. Une heure ou deux plus tard, le gérant de notre auberge, Mahesh, nous appelle et nous quittons nos positions. Il a l’air content de nous voir vivants, et nous réciproquement. Il nous pose des questions, nous dévoile qu’il vit ailleurs avec sa famille, sous une tente. Il y était pour déjeuner, et son portable n’a plus de batterie, voilà pourquoi il n’était pas joignable. Il a repéré des fissures dans son hôtel, il ne nous conseille donc pas d’y rester. Quelques hôtes y vivent encore, en attendant de trouver un autre plan (apparemment l’ambassade de France hébergeait jusqu’à présent des Français dans son jardin, mais les a renvoyés aujourd’hui). Selon des rumeurs, on peut avoir un vol gratuit pour la France via l’ambassade. Vu la manière dont ils nous avaient répondu au téléphone quand nous demandions un petit renseignement, je remercie Dieu que mon destin ne dépende pas d’eux ! J’imagine les touristes coincés ici qui errent dans le Thamel détruit et échangent leurs rumeurs et leurs angoisses, et ai soudainement très envie de partir. Nous prenons finalement nos sacs sous la pluie et souhaitons bonne chance à Mahesh, tout en étant assez émus de le quitter. Lui qui est solide comme un roc, toujours fiable, honnête et doux, je suis assez ébranlée de l’imaginer en difficulté, prenant soin de sa famille, sous une tente au milieu de dizaines d’autres tentes. Je jette un dernier regard vers son hôtel, qui est aussi sa maison et sa vie, irrémédiablement fragilisé.
On se dirige vers WHR un peu moroses. Mahesh nous a appelé un taxi, un de ceux qu’on prenait tous le temps pour aller au bureau. Je le reconnais lui, en particulier, qui a toujours l’air un peu apeuré. Il nous propose 300 roupies, alors que le tarif usuel a toujours été 200. On tient ferme à 200, en invoquant tous nos allers retours passés. A cause de la pluie, de la grêle et des multiples détours qu’a dû emprunter le taxi pour éviter les routes condamnées, on lui en lâchera finalement 400. C’est Akshay qui nous accueille au Chhahari (d’ordinaire, un refuge pour veuves géré par WHR), il est venu pour aider l’ONG à s’occuper de familles réfugiées. WHR a en effet décidé d’héberger 20 familles comportant des mères allaitant des bébés. Il nous dit qu’on peut l’aider à leur tenir compagnie. On retrouve aussi Upasana, Lily, Bal Krishna (« Bikay ») et toute la clique. On raconte notre sortie en trek et notre expérience, et en retour ils nous racontent la leur. Lily (fondatrice de WHR) était en voiture lors du tremblement de terre, et heureusement n’est pas sortie de la route. Upasana était chez elle, mais rien ne s’est effondré. BK de même. Uma était dans la file d’attente au cinéma. Niza était sur son scooter, faisant la queue à la station-service : elle n’en croyait pas ses yeux lorsqu’elle a vu deux bâtiments s’écrouler devant elle. Akshay était chez lui aussi. Maintenant toute sa famille habite dans des baraquements de l’armée, car son oncle est officier. Une autre était sous la douche, les cheveux pleins de shampooing, et a dévalé les escaliers depuis le 4e étage en se cognant à tous les murs. Son père, une fois toute la famille dehors, lui a crié d’aller se rhabiller ! Jane, qu’on croisera plus tard à l’aéroport et qui travaillait aussi à WHR, était à l’église pendant le tremblement de terre, une vieille église près de Thamel. Tout le monde échange ses expériences, parle du chemin à parcourir avant de venir en aide à tout le monde, déplore les destructions de sites historiques, colporte de multiples mythes et rumeurs. Quand on demande des nouvelles de Kristin, une volontaire américaine, Uma nous assure que l’ambassade américaine a rapatrié tous ses ressortissants de force (Kristin était en fait en ce moment même en train d’aider à l’ambassade). On débat du déploiement de l’aide internationale : « Surtout les Chinois, ils nous aident beaucoup. Ils apportent énormément de médicaments et de matériel sanitaire. » Il se met à pleuvoir torrentiellement. Upasana s’exclame : « Après le tremblement de terre, Dieu s’est dit : ce n’est pas assez, il faut en rajouter un peu ! ». On nous propose de dormir dans le « Training hall » avec les familles népalaises, mais on est venus précisément ici pour dormir en sécurité dans le jardin. Maintenant qu’il pleut à verse, on décide d’un compromis : dormir dans la salle à manger, un espace extérieur recouvert simplement d’un toit en tôle. BK assemble des chaises pour nous créer un espace de repos. En allant aux toilettes, je vois des ordures partout, et j’imagine avec effroi l’accumulation de déchets qui aura lieu dans les jours à venir.
Beaucoup de gens commencent à débarquer, dont le fils de Lily, Amun, avec qui on a travaillé pendant la mission. Ils organisent une réunion de crise à laquelle on aurait bien aimé comprendre quelque chose ! L’ONG décide d’un plan d’action pour prendre des nouvelles des membres du réseau, et pour venir en aide aux zones fragilisées (j’apprendrai plus tard qu’ils viendront finalement en aide au district de Nuwakot).
Pendant ce temps, on fait connaissance avec deux jeunes de Transparency International, un Allemand et une Népalaise. Ils viennent aider avec la distribution de fournitures. On discute de tout et de rien, pour se changer les idées : politique allemande, terroir français, corruption népalaise… Des petites filles survoltées nous entourent et nous posent tout un tas de questions. Elles nous présentent un bébé adorable et en pleine forme, même après ses nuits difficiles. Nous restons un peu avec elles puis allons rejoindre les deux de Transparency pour prendre un verre.
Nous revenons au Chhahari dans la nuit noire. Finalement, la pluie s’est arrêtée donc nous décidons de dormir sous une bâche, en empilant couverture de survie, moquette et matelas sur le sol. Dans le training hall, les familles sont toutes bien installées sous des couvertures chaudes, et discutent entre elles. Sans contexte, on pourrait croire à une vraie pyjama-party ! Je me glisse dans mon sac de couchage et sous une couette. Deux hommes et une femme, sortis du training hall, errent près de moi et discutent en Népalais. Ils inspectent la structure de la bâche et font des commentaires. Un petit garçon braque une lampe-torche sur mon visage, m’éblouissant complètement. Ils finissent par partir après qu’on les a assurés de notre détermination à dormir sous cette bâche. Ils partent puis un nouvel éclat de lampe-torche m’éblouit. Je commence à m’agacer un peu, mais le petit garçon était juste venu me donner une couverture. Je me confonds en remerciements. Toutefois un troisième éblouissement un peu plus tard m’agace de plus belle : cette fois-ci ils installent une bâche à côté de moi (des gens vont s’installer ?). Ils ne répondent pas clairement à nos questions, ne parlant pas bien anglais. Finalement personne ne viendra à nos côtés à part le gros chien du Chhahari. Au cours de la nuit, il se rapprochera de plus en plus de nous, jusqu’à se placer à 2 cm de ma tête. Même si ses déplacements me réveillent à chaque fois, froissant la bâche en plastique placée à terre, je suis rassurée par sa présence. Quand je suis allée aux toilettes la dernière fois, j’ai entendu des bruits de souris ou de rats et je ne supporte pas l’idée qu’ils puissent venir de notre côté, vu que nous sommes à même le sol. J’espère que le chien les en découragera.
Mercredi 29 avril : Promenade sur Lazimpat et aéroport de Katmandu
Après une des nuits les plus difficiles depuis longtemps – stressée par le tremblement de terre, le froid, les rats, les bruits – j’ai beaucoup de mal à émerger.
Dès 6h du matin, les familles sortent et les enfants s’agitent, mais j’essaie de continuer à dormir au maximum. On nous donne du thé et des biscuits, et les enfants sont toujours aussi joyeux malgré le malheur qu’affiche leur famille. Un groupe de femmes s’est regroupé dans un coin, certaines allaitent leur bébé, d’autres peignent leurs cheveux qui manifestement n’ont pas été lavés depuis longtemps. Ils sont un peu sur la défensive par rapport à nous, ne montrent pas de signe particulier d’ouverture, mis à part les enfants. Nous décidons de tout ranger, de nous changer et de nous promener dans le quartier et en particulier sur Lazimpat road, où nous ne croisons pas beaucoup de monde. La plupart des murs d’enceinte des bâtiments sont détruits, et des briques jonchent les trottoirs. Devant une maison, un périmètre à ne pas franchir a été délimité : en effet elle penche dangereusement. Tous ces bâtiments doivent être à l’abandon. On longe un immense parc où campent des dizaines de familles. Sur le chemin du retour vers le Chhahari, un jeune homme nous accoste pour nous conseiller de porter un masque : en effet, les maladies vont rapidement se propager dans Katmandu. On croise aussi un groupe de 3-4 personnes âgées qui sélectionne des briques parmi un tas, et commence à reconstruire. On regroupe nos affaires et on fait nos adieux, en passant brièvement par WHR.
Sur le chemin de l’aéroport, on repère des familles qui ont pris possession d’un golf chic, pour établir leur camp. Deux ou trois hommes dorment dans l’herbe près du trottoir, au milieu de quelques ordures. De façon prévisible, il y a pas mal de trafic vers l’aéroport. Sur place, toujours les mêmes campements et la même agitation. On grignote un peu, profitons du wifi, puis passons la sécurité, n’ayant pas beaucoup d’informations sur les retards d’avion. Une fois à l’intérieur, nous sommes impressionnés par la masse de gens entassés près des portes d’embarquement. Les vols prennent du retard depuis le matin, et les passagers, non-informés, passent la sécurité sans pouvoir revenir à l’étape précédente (ah, l’étape précédente, avec ses sièges, son wifi et ses cafés !). On tombe sur Jane, notre collègue à WHR, qui attend debout depuis 2 heures. Les gens sont assis par terre, remplissent les couloirs. Et le nombre de passagers ne fait qu’augmenter. De l’autre côté de la vitre, on voit du personnel humanitaire débarquer, dont un énorme groupe de secouristes français : pompiers et « secouristes sans frontières ». On les regarde avec curiosité et fierté. On repère finalement une prise électrique et nous asseyons par terre au milieu des machines et du passage, pour regarder « Mommy » de Xavier Dolan. On s’interrompt régulièrement pour que Félix vérifie que « Touffette » (un Indien qui prend le même vol que nous et qui est muni d’une touffe de cheveux très repérable) est toujours là. Nous finissons par prendre notre vol avec seulement 2 heures et demie de retard, mais mourant de faim et tombant de fatigue. Le pilote fait une annonce pour s’excuser du retard, et expliquant ce dernier par un manque d’espace de parking sur l’aéroport de Katmandu. Nous sommes heureux de partir mais triste de laisser les Népalais que l’on connait derrière nous, dans cette situation.
Dans les jours qui suivent, je regarde inlassablement les photos que poste WHR sur Facebook (https://www.facebook.com/WHRnepal) , et m’impressionne de jour en jour de leur travail titanesque. Ça ne m’arrive pas souvent de dire ça, mais God(s) bless Nepal and WHR!