Après 3 semaines de mission de mesure d’impact pour EGG-Energy où nous avons analysé les premières données et commencé le rapport, nous partons pour la région de Tanga, dans le nord-est du pays, afin de rencontrer les équipes sur place et interviewer des clients !
[Pour rappel, EGG-Energy est un social business créé en 2009, vendant depuis 2013 des systèmes électriques solaires pour des foyers et des petits business. Ils proposent trois types de système, comprenant chacun un panneau solaire, une batterie et des lampes : 80 Watts, 120 Watts et 200 Watts. Ceci permet au minimum de s’éclairer à l’intérieur et à l’extérieur de la maison, de recharger des téléphones, d’alimenter une radio et au maximum de brancher sa télévision ou un petit frigo. Posséder un tel système, c’est un grand pas en avant pour les familles et une amélioration immédiatement sensible de leur mode de vie. Avec seulement 20% d’accès à l’électricité en Tanzanie, la majeure partie de la population rurale utilise pour s’éclairer de simples lampes à kérosène, dangereuses et inefficaces, ainsi que des lampes-torches. Dans les faits, avec un coucher du soleil à 18h30, les Tanzaniens vivent dans le noir (« Ils voient parfaitement dans le noir, ils ont des yeux de chats, je vous le dis » nous confia d’ailleurs un Chinois). Les systèmes EGG sont chers (près de 1000 euros), et sont donc vendus à crédit, payables en deux ans maximum par petits versements par mobile money (système de transactions financières déconnecté du système bancaire, supporté par les opérateurs télécoms et ne nécessitant pas internet). A la fin des deux ans, les clients sont propriétaires de leur système personnel.
Nous sommes donc venues en Tanzanie pour évaluer l’impact de EGG sur ses clients, et comprendre les changements consécutifs à l’adoption de leur système électrique, dans leur vie, dans leur environnement... Lourde tâche…]
La région de Tanga est la plus importante en termes de ventes pour EGG, et c’est aussi la région où ils ont noué un partenariat avec la coopérative de lait Tanga Fresh qui leur fait de la pub auprès des fermiers. Petite parenthèse linguistique, Tanga Fresh peut se dire « Tanga Freshi » à la manière des Tanzaniens, qui rajoutent systématiquement des « i » là où il n’y en a pas, et les enlèvent là où il y en a. Petites perles : « My goodi friendi », « Whiti Sandi », « My life has improvedi » et à l’inverse : « EGG-Energe », « Watch a move »…
Dès notre arrivée, après s’être empiffrées de yaourts Tanga Fresh, nous partons en expédition à 9 dans une voiture 5 places pour aller installer un système solaire dans un village. La petite radio EGG passe du reggae et des tubes tanzaniens, en harmonie complète avec les cocotiers qu’on voit par la fenêtre et les balancements de la voiture sur la piste défoncée. Après avoir demandé plusieurs fois le chemin, on arrive au petit village où sera posé le système EGG. La maison ne paye pas de mine (c’est pourtant l’habitant le plus riche du village), avec des pièces nues et des poulets qui se promènent dans la boue dehors.
Mais son attrait est manifestement décuplé quand les techniciens commencent à sortir le panneau et l’installer sur le toit : tout le village débarque, surtout les garçons (les filles restent en retrait, selon l’usage dans ce village très musulman). Les têtes sont toutes soit tournées vers le panneau, soit vers l’attraction numéro 2 : nous (les Muzungus). L’ébahissement (et la densité humaine) atteint son summum au moment de l’entrée en scène de la télé : tous regroupés dans une petite pièce, petits et grands ne peuvent détacher leur
regard de MTV (vive le progrès !). Anne-charlotte décide de courir après les enfants qui détalent, morts de rire ou de peur.
Les jours suivants consistent en interviews de clients, accompagnées de notre interprète. Pour la première interview, nous arrivons dans une maison luxueuse, alimentée par le réseau national d’électricité, et dont le propriétaire nous raconte que grâce aux économies réalisées, EGG lui a permis d’acheter de la nourriture pour ses chiens. Ah oui on n’avait pas pensé à cet impact social décisif…
Les interviews suivantes sont plus concluantes et nous parvenons à récupérer des informations intéressantes, malgré les difficultés de compréhension … Les interviewés parlent parfois pendant plusieurs minutes, l’air exalté ou en colère, et la seule traduction que l’on obtient est « He says he has a lot of benefiti, he can use for many good things. » Mais encore…?
Autre cas de figure fréquent, les incohérences:
- « What has changed in her life since she has the system? »
- « She was living in the dark before, she had no lighting »
- « And what other problems did she have? »
- « Before she had to go buy petrol for her generator all the time, like when she wanted to watch a movie » ...Essayez ça chez vous aussi, enlevez les lampes pour pouvoir mieux regarder des DVDs!
On ne sait pas qui accuser dans le processus, les gens qui racontent des trucs absurdes ou le traducteur qui est à l’ouest et nous répète la même chose tout le temps… Il avait en effet des grands classiques qui revenaient à chaque interview comme « He says that now he can gather with his neighbors and share ideas » ; on finissait par avoir l’impression que tous les Tanzaniens formaient des groupes politiques et des clubs de débat grâce à leur système.
On n’est quand même pas déçues, on est tombées sur des cas assez folkloriques: notamment un charpentier qui a ouvert un ciné avec sa nouvelle télé solaire et lancé un business de lait et de cacahuètes pour grignoter pendant les séances, ou bien un autre qui maintenant profite de l’énergie solaire pour faire des apéros et des barbecue parties avec ses amis jusqu’au bout de la nuit…
On est reparties bien contentes et bien bronzées, retour à Dar pour essayer de mettre tout ça en forme !