Nous avons interviewé Aymeric et Colombe de Vachon, qui reviennent de 2 ans de volontariat aux Philippines, au sein du Life Project Center “Hear Us” qui cherche à insérer des jeunes sourds par une alternance formation à l'informatique et travail de saisie de données (http://issuu.com/lifeproject4youth/docs/hear_us_?e=8841899/5586533) , qui fait partie de l’organisation LP4Y (http://lp4y.net/en/).
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur LP4Y?
Il s’agit d’une association qui cherche à insérer professionnellement et socialement des jeunes en situation d’extrême exclusion. Elle y arrive en essaimant à travers des centres de formation en alternance (nommés “Life Project Center”). Chaque centre développe une activité économique et les jeunes y travaillent la moitié de la semaine. Les deux jours et demi restants, ils sont formés, réfléchissent à leur projet professionnel ou de vie. Ils sont hébergés dans le centre le plus souvent, et reçoivent une indemnité. Il y a aujourd’hui 8 centres basés aux Philippines, au Vietnam et en Indonésie.
Quelles sont les spécificités de Hear Us?
Hear Us s’adresse aux jeunes sourds d’Iligan, une ville située sur l´île de Mindanao (l’ île la plus au Sud des Philippines). Hear Us est parti de leur envie et de leur aisance avec les ordinateurs pour mettre en place une activité de saisie informatique et de saisie de données.
Les jeunes sourds ont aux Philippines une vie très difficile: personne dans leur famille ne parle la langue des signes, et ils se retrouvent à effectuer toutes les tâches ménagères. Une majorité d’entre eux a été scolarisé très tard quitté l’école très tôt et leur niveau d’anglais est faible.
Cela pose parfois problème pour se faire comprendre. Toutefois, leur capacité d’observation est au dessus de la moyenne. Les jeunes ont pour la plupart une mémoire visuelle très développée. Aussi, malgré l’apprentissage de la langue des signes, c’est parfois un challenge de leur faire comprendre la nouvelle tâche à effectuer. L’achat d’un vidéoprojecteur permettant de décomposer en direct devant eux les tâches à permis de gagner énormément de temps !
Ces capacités d’observation et de concentration supérieures sont clairement un avantage comparatif pour l’activité économique de Hear Us.
Hear’Us en chiffres cela représente:
- 20 jeunes en alternance,
- Les jeunes restent entre 8 mois et 2 ans dans la structure,
- 2 volontaires étrangers à temps plein: un volontaire qui assure le management et le suivi du business, un volontaire qui assure la formation et l’animation de la vie du foyer,
- 1 volontaire philippine qui connaît la langue des signes qui assure le suivi entre les différents volontaires, permet un contact plus facile avec les familles des jeunes et participe à la vie du foyer,
- 35 jeunes passés par le centre sur les 2 ans dont 25 qui ont quitté la structure, 10 pour reprendre leurs études et 15 qui ont trouvé du travail.
Quel est le modèle économique de Hear’Us?
L’objectif est que l’activité économique couvre les frais de structure (électricité, eau, loyer) ainsi que les indemnités des apprentis. Le reste, c’est-à-dire l’indemnité de vie des volontaires qui effectuent à la fois le management de l’équipe, la formation des jeunes est pris en charge par l’association LP4Y.
Pour l’instant nous avons quelques clients, dont www.spareka.fr qui est un site de vente de pièces détachées. Nous remplissons des informations dans des bases de données qui permettent un bon référencement des pièces. Nous saisissons les caractéristiques techniques depuis des catalogues papiers ou web que nous arrangeons au format du site internet.
Les revenus dégagés sont variables: lorsque nous sommes complètement en activité, nous réussissons à atteindre cet équilibre. Cependant nous couvrons pour l’instant en moyenne ⅓ de nos frais, le soutien de LP4Y reste donc nécessaire. Nous cherchons à nous développer, que cela soit en sous-traitance de plus grands acteurs philippins ou pour des clients directs. Hear Us peut traiter tous types de données!
Quelle est la formation qui est assurée au sein du LPC?
On effectue d’abord du rattrapage scolaire, donc des cours d’anglais et de culture générale. Puis il y a aussi des cours plus techniques, où on leur apprend par exemple à utiliser le pack office ou d’autres outils informatiques. Il y a aussi des temps pour l’accompagnement de leur projet de vie. Y sont abordés par exemple les recherches d’emploi, et dans les sessions individuelles on est parfois amenés à faire du soutien psychologique. Ils expérimentent aussi la prise de responsabilité aussi bien dans l’activité de saisie que dans la vie communautaire dans le foyer.
Cette formation est très importante et on essaie de la rendre la plus utile possible. Ainsi, deux des apprenties de Hear Us qui postulaient pour devenir assistantes comptables et RH ont dû passer un test de rapidité sur ordinateur. Nous les avons préparées avec une session hebdomadaire d’entrainement.
Au final il est intéressant de voir que cette activité de saisie informatique permet le développement de savoir-faire réutilisables en entreprise et qui sont valorisés à l’embauche.
Quels sont les autres axes de développement?
Hear Us a un lien régulier avec l’Université de Mindanao pour une session de formation informatique annuelle.
LP4Y à Iligan développe aussi depuis février 2013 un programme pour les jeunes en prison. Une activité de production de bijoux devrait démarrer en mars 2014.
Qu’avez vous retiré de cette expérience?
Tout d’abord, nous avons appris la langue des signes américaine !
Ensuite il est très valorisant d’accompagner ces jeunes à se lancer dans leur vie d’adulte, grâce á la pédagogie et à l’activité économique.
Il était intéressant que la mission de volontariat soit si diversifiée, et avec une grande partie entrepreneuriale : il faut trouver de nouveaux clients et gérer le business, tout en donnant une autonomie croissante aux jeunes dans leur travail.
Vivre aux Philippines, et en particulier sur l´île de Mindanao était une chance, nous avons pu nous y intégrer et découvrir une autre culture. Il s’agit aussi d’une école de la patience, où tout ne va pas aussi vite que l’on en a l’habitude, mais nous avons été très bien accueillis et gardons en souvenir leur gentillesse, leur sourire et leur positivisme.
